Le pin est le plus répandu des conifères sur tout l’hémisphère nord, du cercle polaire à l’équateur. Il a su s’adapter à tous les terrains même les plus ingrats (rochers, sable) et aux différents climats du plus froid au plus chaud. Il en existe une centaine d’espèces :
– le pin d’Alep sur les côtes rocheuses méditerranéennes
– le pin sylvestre (le plus répandu) sur des millions et des millions d’hectares
– le pin Cembro en haute altitude
– le pin maritime bien connu dans le Sud-Ouest qui donne l’essence de térébenthine et d’autres dérivés.
L’être vivant, le plus vieux du monde, se trouve dans les White Mountains à 2500 m dans la célèbre vallée de la mort. C’est en fait un pin : Pinus longaeva. Cet arbre, d’aspect mort à 90 %, n’est pas pourri pour autant. Il a 4600 ans !
Floraison :
– Avril à mai
Pollinisation anémophile, la dispersion des graines ailées est anémophile.
Fructification :
Fruit : cône assez pointu, brillant, pendant, de 10 à 18 cm de long, muni d’un court pédoncule en crosse. Remarque : la pume de pin (vers 1200), ensuite devenue la pomme de pin, est un faux fruit car les pins et autres conifères (du latin conus, emprunté au grec ancien kônos signifiant pomme de pin et du latin ferre, porter) ne possèdent pas d’ovaires. Les graines sont donc nues (c’est pour cette raison que les plantes de ce type sont classées dans le sous-embranchement des Gymnospermes ; littéralement graines nues). Cependant, les cônes femelles sont constitués d’un axe muni de bractées qui se soudent dès la fécondation des ovules. Ces bractées soudées et vertes forment la jeune pomme de Pin. Ce n’est que la seconde année que le cône femelle sera entièrement lignifié : leurs cônes mûrissent 2 à 3 ans après leurs fécondations et tiennent sur l’arbre pendant plusieurs hivers. Par contre, la remontée spectaculaire de la sève printanière, donnant les feuilles chez les espèces à feuilles caduques, est chez eux des plus discrètes. Les pins sont hermaphrodites, c’est-à-dire portant sur le même pied des fleurs mâles et femelles. L’ouverture, en avril ou mai, des chatons mâles donnent ces nuages de pollen redoutés des allergiques. Les fleurs femelles ne sont que des cellules sexuelles nues qui une fois fécondées par le pollen deviendront de faux fruits en bois : les cônes ou pommes de pin.
Les graines ailées arrivées à maturité seront dispersées par le vent dès la première ouverture du cône par temps sec. La gymnospermie est donc, physiquement, toute relative puisque les graines sont enfermées jusqu’à leur dissémination.
Taille de 20 à 30 m à feuilles persistantes. Bien qu’il existe beaucoup de variantes tous les pins se ressemblent. Ses aiguilles ne tombent pas avant 3 ou 4 ans. C’est le premier arbre récolté en France devant le chêne.
Multiplication :
Comme tous les conifères, à la différence des feuillus, le pin ne donne pas de rejet, donc ne peut renaître de lui-même.
L’absence de végétation herbacée sous le couvert des^ conifères peut s’expliquer un déficit d’énergie lumineuse. Cependant, même dans les pinèdes claires de Gascogne, où la luminosité serait suffisante pour permettre la synthèse chlorophyllienne, les plantes herbacées sont souvent très rares. Un chercheur français, Jack Masquelier, a émis l’hypothèse que des substances inhibitrices de la germination pouvaient exister dans le sol et peut-être dans les aiguilles de Pins.
Histoire, origines, croyances, toponymie et étymologie :
En grec ancien, pithus ou pitus désigne les Pins à l’exception du Pin pignon ou Pin parasol nommé peuké (voir mythologie).
Pinus : Le latin désignera par pinus, spécialement le Pin parasol (Pinus pinea), espèce dont le feuillage forme une large tête aplatie. On peut rapprocher pinus du celtique pen signifiant tête.
Pin se retrouve dans quantité de localités, de lieux-dits. En France, on peut citer Pin, Le Pin, La Pinède, La Tour-du-Pin, Saint-Ouen-le-Pin, Juan-les-Pins, Pinas, Pinay, Pinet….
Divers rites entourent cet arbre, de l’Asie Mineure aux Grecs et aux Romains. La plus significative est celle d’Attis, le pin sacré (qui est en fait le pin-pignon ou pin parasol). Ce pin mourrait et ressuscitait, il se sacrifiait lui-même et ses prêtres l’imitaient.
On attribue à la pomme de pin la symbolique de la renaissance immortelle en référence à la forme phallique de la pomme de pin que Dyonisos, le Dieu orgiaque de la nature, s’était appropriée au point d’en orner son sceptre : le thyrse.
On dit également que Tristan et Yseult auraient caché leurs baisers sous son ombre.
Les Celtes l’appelaient « l’arbre de feu ».
L’arbre de Cybèle :
Dans les temps anciens, le pin était consacré a la Mère des dieux Cybèle, fille du Ciel et de la Terre. S’étant éprise d’un berger, Atys (ou Attis), sur la montagne de l’Ida, celle-ci le chargea de son culte, à condition qu’il fît vœu de chasteté. Un vœu que le jeune homme enfreignit en épousant la nymphe Sangaride. Cybèle fit alors périr sa rivale. Atys, fou de chagrin, s’émascula, et la déesse le transforma en pin, pin-pignon ou pin parasol (Pinus pinea L.), sans doute.
D’abord limité à la Phrygie, puis pratiqué en Crète et introduit à Rome au IIIe siècle avant J.-C., le culte de Cybèle donnait lieu à des pratiques pour le moins licencieuses.
Chaque année, en mars, au moment de l’équinoxe de printemps se déroulaient les fêtes rituelles, au cours desquelles était apporté dans le temple du Palatin le pin sacré, symbole de la mutilation d’Atys ; sur le tronc enrobé de bandelettes et paré de violettes, du sang était répandu pour ressusciter le dieu-arbre et, travers lui, ranimer la végétation à la vie.
L’arbre sacré de Merlin :
Au sommet du pin qui se dressait au-dessus de la Fontaine de Barenton, dans la forêt de Brocéliande, et qu’il escalada, Merlin l’enchanteur acquit la connaissance suprême. Sorte d’arbre cosmique relié au séjour des morts par l’intermédiaire de la source. C’est là que désormais il réside, car la « maison de verre » n’est autre que le sommet de l’arbre vert, où Merlin a enfin obtenu la totalité des pouvoirs (…).
Pour les Anciens, la pomme de pin, en général, évoquait le phallus en érection ; celle du pin-pignon, non seulement par sa forme mais aussi par sa couleur rougeâtre et luisante, était de beaucoup la plus suggestive. Ce sacrifice correspondait surtout à la saignée de l’arbre donnant la récolte de la résine ou gemmage « à mort ». Aujourd’hui encore pratiqué sur le pin maritime qui produit plus de résine que les autres pins.
D’autres histoires mythologiques définissent, en somme, le symbolisme complexe et ambigu du pin qui est, comme toujours, conforme à la nature propre de l’arbre. On le disait « indice de mort », car une fois coupé rien ne repoussait à son emplacement (alors que c’est dû à l’utilisation d’une arme redoutable de dissuasion chimique, leurs aiguilles mortes tombées répandent insidieusement dans le sol des substances toxiques qui inhibent la germination des graines). Sur certains blasons, le pin est symbole de mort. Mais, il est aussi promesse d’immortalité, car son extrême résistance (qui lui permet de coloniser les milieux les plus défavorables et de s’y maintenir) le prouve.
L’arbre de vie :
En Extrême-Orient, la persistance de ses aiguilles par-delà les saisons vaut à cet arbre de symboliser la longévité et l’inaltérabilité. Ainsi est-il omniprésent dans les jardins chinois ; il est souvent allié au bambou et au prunier, qui véhiculent la même idée, pour constituer une triade garante d’une longue vie et donc du bonheur. Comme le cyprès, le pin est utilisé au Japon pour le shinto (religion basée sur la vénération des forces de la nature), pour la construction des temples et la fabrication des instruments rituels. Lui sont associés à la fois l’idée d’immortalité et celle de retour à la lumière.
D’autres symboles ont aussi perduré. Ainsi le cône fermé était symbole de chasteté, celui-ci une fois ouvert représentait la puissance vitale et la fécondité. Allant jusqu’à incarner un potentiel magique, comme le pin de Barenton (qu’escaladait Merlin l’Enchanteur dans la forêt de Brocéliande), voire le diable. Il fut aussi le culte de rites païens.
Pour les anciens, les cônes femelles en bois, mais aussi les chatons mâles, voire les bourgeons terminaux, étaient des symboles phalliques et vénérés comme tels. La chute des cônes évoquait la castration. Le Pin pignon ou Pin parasol (Pinus pinea), appelé peukt par les Grecs qui le distinguaient de tous les autres Pins (nommés pithy), était, à ce point de vue, le plus suggestif. Cependant, la chute du fruit signifiait également la reproduction. Cette double symbolique, de même que l’écoulement de résine (symbolique du sang coulant d’une blessure ou des larmes d’une nymphe) fut à l’origine du culte dévolu à Pithys : nymphe transformée en Pin noir pour échapper aux avances pressantes du dieu Pan ou de Borée selon la version ! Selon une autre version, la nymphe Pithys aurait été précipitée au pied d’une falaise par Borée (dieu du vent du nord), par dépit amoureux et transformée en Pin par Pan, son préféré… Le souffle de Borée (vent d’automne) chagrinerait Pithys et ses pleurs seraient matérialisés par la résine translucide s’écoulant des cônes.
Le pin noir de Pitys :
La nymphe Pitys aurait échappé à Pan qui tentait de la violer en se métamorphosant en un pin maritime ou pin noir (Pinus pinaster). Une autre version de la légende prétend qu’elle aurait accordé ses faveurs à Pan plutôt qu’à Borée, que ce dernier en aurait pris ombrage et aurait soufflé avec une telle force que la jeune nymphe serait tombée d’une falaise. Compatissante, la Terre l’aurait alors transformée en pin. « Voilà pourquoi, cet arbre, conservant encore, dit-on, les sentiments de la nymphe, couronne Pan de son feuillage, tandis que le souffle de Borée excite ses gémissements. »
Utilisations :
– Son bois est assez lourd et dur au grain grossier et peu souple. Le pin maritime a une teinte peu homogène, orange avec des bandes de couleurs claires et foncées, en alternance.
– Nos ancêtres utilisaient les copeaux du bois pour s’éclairer. La résine était dans l’Antiquité un produit de première nécessité aux usages multiples (pour les torches par exemple), bien plus nombreux qu’ils le furent par la suite. Le gemmage « à mort » concerne les pins parvenus à leur plein développement, épuisant d’ailleurs pour l’arbre. Car cette plaie ouverte en mars-avril était entretenue jusqu’en octobre. Cette gemme, désignant le suc coagulé à l’air, était comparée à une pierre précieuse. De nos jours, encore, on attend l’âge de 20 ans du pin pour commencer le gemmage, l’âge où mourut Attis.
– On prête aux frères et peintres Van Eyck la découverte, dans leur atelier de Bruges au début du XVe siècle, des propriétés de la résine et de son essence. Ils découvrirent que l’essence de térébenthine, extraite de la résine, accélère le temps de séchage et qu’en la mélangeant à de l’huile on obtient une texture picturale fluide et transparente autorisant nuances et retouches, impossibles jusqu’alors. Même si son inconvénient est de jaunir avec le temps, l’essence de térébenthine devint très prisée pour les vernis protecteurs utilisés par les peintres.
– Le produit, recueilli, du gemmage était utilisé sous trois formes :
o La résine dont on extrayait une huile essentielle, l’essence de térébenthine.
o La crapula : ce qui restait après évaporation de cette huile, soit au soleil ou par chauffage doux.
o La poix liquide par chauffage à haute température, puis un distillat plus épais : le brai.
Chacun de ces produits avait une utilisation distincte. La poix et le brai, qui avaient un pouvoir d’étanchéité, servaient à calfeutrer les bateaux et à goudronner les bois exposés aux intempéries. Ils servaient également à différentes préparations médicinales. La résine, elle, servait à la fabrication de baumes et d’aromates, mais aussi d’encens employés en médecine ou brûlés en offrande dans les cultes et entrant dans la composition des parfums. Cette résine (censée provenir des profondeurs de la Terre et même des régions infernales) brûlait en répandant une odeur agréable qui s’élevait jusqu’aux cieux, unissant le monde sous–terrain au royaume des Dieux.
Dans l’Antiquité et même de nos jours, l’addition de résine ou de poix au vin était censée assurer sa conservation. Ce fut contesté, car ce vin résiné avait la réputation d’être nocif, donnant maux de tête et vertiges, si bien que le mot crapula finit par désigner la lourdeur de tête provoquée par l’ivresse (et qui a donné de nos jours en français, le mot crapule : terme injurieux).
Autres usages :
– Bois de mine, menuiserie, caisserie, pâte à papier, traverses de chemin de fer, poteaux, panneaux de fibres et de particules, contre-plaqué, meubles, construction. Pour le pin maritime : parquets, moulures, lames de volets roulants, menuiserie intérieure et extérieure, caisserie, poteaux de mine, traverses de chemin de fer, pavés de bois, pâte à papier et charpente (pour des portées de faible longueur).
– Parquets : 2,6 millions de mètres carrés en France, contre 1,7 pour les autres résineux et 0,6 pour les Chêne et Châtaigniers – lambris : 21,65 millions de mètres carrés en France, contre 5,8 pour les autres résineux et 0,91 pour les feuillus.
– Autres usages : le Pin maritime est le plus grand producteur européen de résine aux multiples usages.
– Technique du gemmage : On pratique une entaille, à la base de l’arbre, d’une dizaine de cm de large sur une profondeur de 3 cm, appelée carre. Guidée par une gouttière de zinc, la résine est récoltée dans un récipient. La carre est entretenue toutes les semaines par le prélèvement d’un copeau de bois à sa partie supérieure. Elle peut donc atteindre 3 ou 4 m de hauteur. Un arbre donne, en moyenne, de 2 à 4 kg de résine par an. La distillation de celle-ci donne, outre l’essence de térébenthine, des parfums utilisés pour la fabrication de shampoings et de lessives. Les fibres des aiguilles, obtenues par rouissage, étaient utilisées pour bourrer les matelas et le tissage. Cette matière s’appelait la laine de la forêt. En Allemagne, on tirait cette laine des aiguilles de Pins bouillies dans une eau alcaline et on l’utilisait pour confectionner les matelas des rhumatisants.
Le pin maritime est l’un des résineux les moins facile à sécher à cause des nœuds comme beaucoup de résineux, il est sensible aux moisissures bleues à basse température.
Usages médicinaux :
– Le pin est donc un arbre divin et utile, il était aussi considéré comme guérisseur. L’écorce de pin, dans l’Antiquité, broyée et ajoutée au vin venait à bout des coliques. Le pignon de pin soignait les aigreurs d’estomac et s’employait comme tonique. La poix est cicatrisante, et mêlée au miel, elle soignait angines et catarrhes. Elle passait même pour un remède souverain contre les scrofules.
– Ces emplois, quelque peu magiques, n’ont pas subsisté dans la médecine contemporaine. Mais on recommande toujours l’huile officinale extraite de la térébenthine surtout celle des bourgeons, dans le traitement des voies respiratoires car expectorantes et diurétiques. Des préparations (y compris homéopathiques) tirées du pin sylvestre soignent sciatique et rhumatismes. En Allemagne, on se sert des aiguilles de pin qui une fois bouillies dans une eau alcaline servent de « laine de forêt » ou Wald Wolle pour confectionner des matelas pour rhumatisants.
– La résine : la récolte de celle-ci est appelée gemmage, allusion à l’éclat chatoyant des pierres précieuses ou gemmes. On tire de cette résine l’essence de térébenthine qui, aux doses médicinales, est indiquée dans les cas de broncho-pneumonies, certains asthmes, affections des voies urinaires et génito-urinaires. C’est aussi un anti-infectieux de valeur et un hémostatique confirmé. L’essence de térébenthine est l’antidote du phosphore.
– Les bourgeons : ceux-ci possèdent les mêmes propriétés et sont en plus antiscorbutiques.
– Le goudron : issu de la combustion en vase clos du bois, ce goudron végétal a été utilisé comme tonique digestif, dépuratif, anti-catarrhal et contre les pierres de la vésicule.
– J. Cartier (1491-1557), lors de son escale à Terre-Neuve en 1535, fit avaler à son équipage, sur les conseils des indigènes, une décoction d’aiguilles et d’écorce d’un conifère (appelé Anneda par les Indiens) pour le guérir du scorbut. Il pourrait s’agir d’un pin ou d’un sapin.
– M J. Cook (1728-1779) et les grands navigateurs anglais donnaient aux matelots une bière à base de pousses de pins pour prévenir le scorbut
– Par des décoctions d’aiguilles de pins, Masquelier a démontré la présence de leucoanthocyanes constitués d’une molécule de base (leucocyanidol) légèrement polymérisée (c’est-à-dire des multiples de cette molécule de base). Les leucocyanidols inhibent nettement la croissance cellulaire des tissus cancéreux et ont donc un effet anti-tumoral mais ils perturbent aussi l’action des hormones de germination (auxine). À l’inverse, un leucocyanidol monomère (1 molécule de base) se comporte comme une vitamine P (P signifiant perméabilité). Cette vitamine agit nettement sur le système vasculaire en favorisant le renforcement des parois cellulaires par une sorte de super-tissage des molécules de collagène, principal constituant du tissu vasculaire. C’est au départ des aiguilles de pin que ce leucocyanidol monomère ou dimère a été extrait et identifié. Mais l’effet de la vitamine P était pourtant connu depuis 1535 ! (voir plus haut) Masquelier, connaissant cette histoire, supposa que cette décoction devait contenir une ou des substances anti-hémorragiques qui stoppèrent le scorbut. Il investigua tous les conifères du Québec et dans tous découvrit des flavanols proches de ceux fabriqués par les citrons (citrine). La vitamine P fut, en effet, découverte en 1936 par Szent-Gyôrgyi. Ainsi, dans les années 80, les aiguilles de Pin permirent de découvrir non seulement des substances naturelles d’un grand intérêt pour la médecine, mais encore d’expliquer la guérison des marins de Jacques Cartier.
Maladies :
– La processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) : L’image de la processionnaire du pin est un papillon très discret ; elle constitue de vastes colonies de chenilles urticantes dévorant les aiguilles des pins hôtes. Les extrémités de ceux-ci deviennent rapidement roussâtres et les arbres, affaiblis, deviennent très sensibles aux attaques parasitaires au point d’en mourir. Ces chenilles, suivant l’épuisement de leur nourriture, se déplacent en colonie entière. Avant leur transformation en chrysalide (début du printemps), elles font un ultime voyage pour s’enterrer : la procession de nymphose. L’éthologie de cette espèce est spectaculaire : les individus se déplacent toujours massivement en restant en contact les uns avec les autres. Les chenilles processionnaires envahissent par ordre de préférence : les pins noirs, maritimes, sylvestres.
La procession indésirable
Au cours de vos balades d’hiver, vous allez remarquer sur les pins cette grosse barbe à papa. Anodine en apparence, cette boule de coton soyeuse est un cocon, tissé par des larves de chenilles processionnaires. Elles y passeront l’hiver au chaud, sortant parfois la nuit pour aller se nourrir d’aiguilles de pins : elles les grignotent et en prélèvent la sève. Au printemps, les chenilles sortiront du nid en file indienne suivant le fil de soie tisse par les premières. Le spectacle de cette procession, qui suit le tronc, puis parcourt quelques mètres avant de s’enfouir dans le sol, intrigue. Mais à condition de rester à distance : les poils de ces chenilles, reliés à des glandes contenant du venin, sont très urticants et peuvent provoquer des lésions oculaires, voire de l’asthme. Les dégâts sont aussi terribles pour les arbres. Car les chenilles, devenues chrysalides, laisseront échapper des papillons, qui ne vivront qu’un jour, le temps de déposer leurs œufs sur les pins et les cèdres. La boucle sera bouclée… les larves suivantes s’attaqueront à leur tour aux aiguilles des pins. Cela entraîne une défoliation des branches, qui ne provoque pas la mort des arbres, mais ralentit leur croissance. 11 est difficile de se débarrasser de cette plaie ; seuls le coucou et la mésange à longue queue sont des prédateurs des chenilles. Quant à l’homme, il peut intervenir, tout simplement en coupant la branche occupée par le cocon, au ras de celui-ci, et en le brûlant. Attention, gants, lunettes, voire masque, recommandés.
– La nonne (Lymantria monacha) : C’est un lépidoptère grand consommateur d’aiguilles ; outre de violentes attaques dans les pessières allemandes, les pins ne sont pas épargnés par cet insecte. Les arbres affaiblis sont alors la proie d’autres parasites redoutables tels les Scolytes appelés Bostryches par les forestiers (petits coléoptères de 2 à 7 mm). Les facteurs qui déterminent la sélection de l’arbre par les Scolytes (Ips typographus principalement chez Picea abies) sont actuellement bien connus.
– Les scolytes des conifères (Pins, Epicéas) : Un conifère affaibli par des conditions météorologiques sévères (hivers à gel intense et prolongé, sécheresse, invasion de parasites des feuilles, …), voit sa pression osmotique augmenter considérablement. Les cellules de l’arbre souffrent de ces variations et se contractent jusqu’au déchirement des membranes. Les oléorésines, huiles essentielles sécrétées par des cellules configurées en poches, cessent alors d’être produites. Celles qui étaient contenues dans les poches résinifères sont expulsées vers l’extérieur et l’arbre dégage alors un parfum complexe en libérant dans l’atmosphère des terpènes (contenus dans les oléorésines ou huiles essentielles). Ces parfums terpéniques arrivés à l’air, les oléorésines sont modifiées chimiquement (action de l’oxygène, de l’humidité, de micro-organismes) s’oxydent, se polymérisent et acquièrent alors un pouvoir attractif sur les Scolytes. Cette première phase est appelée attraction primaire. Ainsi, l’Ips sexdentatus a causé des dégâts considérables aux pins maritimes des Landes (F) et aux Pins sylvestres de la forêt de Fontainebleau près de Paris. C’est l’Ips typographe (Ips typographus), autre Scolyte, qui ravage l’épicéa. Le processus est toujours le même : l’attraction primaire attire exclusivement des mâles qui ont repéré les parfums terpéniques par leurs antennes ultra-sensibles et programmées pour détecter ces molécules particulières. Cependant, une trop forte concentration de substances volatiles a un effet répulsif sur les insectes. Il est donc nécessaire que les arbres affaiblis aient libéré une bonne partie de leurs molécules attractives. Le mâle pénètre dans l’écorce et creuse une chambre nuptiale dans le bois. Un conifère abattu volontairement produit le même résultat, alors que les arbres sains du voisinage sont épargnés. C’est donc un moyen de lutte utilisé par les forestiers appelé : arbre piège. En se nourrissant de l’écorce et du cambium, et en ingérant les composés terpéniques, les Ips mâles élaborent dans leur tube digestif et dans leurs déjections des substances volatiles nouvelles, attractives. Celles-ci ne sont pas strictement spécifiques car elles agissent sur les femelles de la même espèce, mais aussi sur les mâles et femelles d’autres Scolytidés, de parasites ou de prédateurs. Ces substances sont appelées phéromones d’agrégation. Ces phéromones attirent plusieurs femelles dans la chambre nuptiale où se produit l’accouplement : c’est l’attraction secondaire. Les femelles creusent alors des galeries dans l’axe du tronc et déposent leurs oeufs régulièrement sur les bords de la galerie. Les larves nées, creusent à leur tour, perpendiculairement à la galerie maternelle, des galeries de nutrition de plus en plus larges, proportionnelles à leur taille. Après la nymphose, les jeunes adultes s’envoleront par un trou d’envol pour attaquer d’autres arbres affaiblis car les arbres sains aux cellules gonflées de liquides et sécrétant en grande quantité des oléorésines, noient les insectes qui tentent d’y pénétrer. Quant à l’arbre déjà affaibli et de ce fait parasité (parfois plus de 1.800 insectes au m2 !), il ne tarde pas à mourir car la consommation du liber (phloème) empêche l’arbre de se nourrir par la destruction des cellules conduisant la sève élaborée. L’écorce tombe alors par plaques et l’arbre meurt en quelques semaines. De plus, le cambium, assise génératrice du bois (xylème) et du liber (phloème), est également consommé, aggravant encore, si l’on ose dire, l’avenir déjà compromis de l’espèce parasitée. L’utilisation artificielle de substances attractives (primaires ou secondaires) placées dans des pièges, peut éliminer quantité de parasites.
– La maladie du pourridié : L’Armillaire couleur de miel (Armillaria mellea), encore appelée pourridié, se développe à la base du tronc ou de la souche. C’est un parasite redoutable émettant de longs filaments noirâtres (rhizomorphes) proliférant sous l’écorce des arbres et dans le sol, où ils assurent la propagation du champignon. Cette contamination par les racines au départ d’un premier arbre parasité et se propageant selon un cercle qui s’agrandit d’année en année est également une des formes de la maladie du rond. La maladie du pourridié ou la pourriture blanche, allusion à la couleur blanchâtre du manchon de mycélium (partie parasitaire qui, prélevant la sève élaborée et l’eau de l’arbre, le tue par défaut de nourriture), a généralement raison de l’arbre.
– Le dépérissement des forêts et les pluies acides : Dès les années 70, les forestiers allemands constatent un retour du dépérissement des vieux Sapins pectines (Abies alba) en Bavière et en Forêt-Noire. Ce phénomène est en réalité connu depuis deux siècles. (Bibl. A.F.M. p. 9) Ce qui est nouveau, c’est que des sujets jeunes sont également affectés, menaçant sérieusement des milliers d’hectares de plantations. Les années 80 sont caractérisées par le dépérissement des Epicéas et des Pins de même que, dans une moindre mesure, des feuillus comme les Chênes, Hêtres, Erables,… Certains secteurs forestiers sont touchés à plus de 75 %. Aucun pays de l’U.E. (les seuls pour lesquels nous disposons officiellement d’inventaires se rapportant au jaunissement et à la perte du feuillage) n’est épargné, l’est de l’Allemagne et l’Autriche sont particulièrement affectés, le nord de l’Angleterre, le sud de la Belgique, le nord de l’Italie et le Portugal présentent également de sévères symptômes. Dès l’apparition massive des symptômes de dépérissement des arbres (jaunissement et perte prématurée des feuilles, éclaircissement considérable du feuillage, nombreux rameaux morts et mort de l’arbre), des grilles d’observation furent établies, une façon pour le forestier d’apprécier les dégâts chez les conifères est de recenser les générations d’aiguilles, leur coloration et leur densité par génération. Pour des arbres sains, les Epicéas ont de 5 à 12 générations d’aiguilles vert-uniforme et 3 à 7 générations chez les pins. Ceci signifie que des aiguilles peuvent se maintenir au maximum de 5 à 12 ans chez l’épicéa et de 3 à 7 ans chez les pins. En situation idéale, la persistance des aiguilles dépend essentiellement de l’altitude. Un rameau sain comporterait donc de son extrémité vers son origine de 3 à 12 nœuds munis d’aiguilles intactes (couleur vert uniforme, absence de nécroses). La recherche fournira probablement au cours des prochaines années ce qui fait encore défaut, à savoir les éléments d’un diagnostic permettant de conclure à des relations de cause à effet. Ce qui signifie que les pluies acides considérées un peu hâtivement comme seules responsables des dommages forestiers récents sont probablement un des facteurs (la dernière agression qui fit basculer un état sanitaire déficient vers un affaiblissement parfois mortel) du dépérissement parmi d’autres. Il faut probablement retenir que le stress climatique subi par la forêt ces 15 dernières années (1980 à 1995) est la conséquence d’une succession d’années sèches, d’hivers rudes ou trop doux. À cela viennent se surajouter fréquemment les invasions d’insectes défoliants et, bien entendu, la pollution atmosphérique. Cette dernière est plus agressive sur les conifères à feuillage persistant colonisant ou plantés sur des sols pauvres (compte tenu de leur tempérament moins exigeant quant à la qualité dit sol) et surexploités, à acidité marquée, que les retombées atmosphériques acides ne font qu’amplifier. Tous ces facteurs jouent un rôle non négligeable dans la manifestation des symptômes du dépérissement.
– Il faut également signaler que l’augmentation considérable des observations en forêt et par satellites a peut-être mis en évidence une tendance au dépérissement plus ancienne mais, de toute évidence, bien réelle et nettement préoccupante. La connaissance fine de l’écosystème forestier est loin d’être acquise. Les données actuelles, déjà considérables, montrent à l’évidence la synergie des facteurs intervenants et donc l’extrême difficulté d’isoler un facteur coupable qui n’existe probablement pas et qui, de toute manière, ne peut avoir la même influence d’un lieu géographique à un autre. Dans un écosystème, tous les intervenants (climat, sol, groupements végétaux et animaux) sont en synergie. Cependant, le climat joue un rôle majeur au point de favoriser ou de faire disparaître un écosystème en quelques siècles (et non en quelques dizaines de millénaires !). Une modification radicale du couvert forestier nord-européen est intervenue plusieurs fois lors des quinze derniers millénaires au point d’éliminer complètement la forêt en Europe du Nord (vers 12.500 et vers 10.000 av. J-C).
Laisser un commentaire